Grand écart et paradoxe :
les agences sont-elles encore en phase avec les besoins des annonceurs ?

Grand écart et paradoxe :

les agences sont-elles encore en phase avec les besoins des annonceurs ?

 

Tribune par François Pinochet, Secrétaire Général Les Stratèges

A côtoyer quotidiennement agences et annonceurs et à partager les enjeux des uns et des autres sans être ni juge ni partie, je constate deux grandes tendances qui semblent s’opposer. La tentation du « Do It Yourself » des annonceurs n’entre-t-elle pas en contradiction avec « la ruée vers le 360° » de certaines agences ?

 

Plus les agences grossissent, et plus elles cherchent à élargir leur champ d’expertises. La logique est compréhensible. Plus je maîtrise de disciplines de la communication plus je couvre de besoins et me place en capacité de fidéliser mes clients annonceurs. Sans parler des groupes qui se constituent à marche forcée en rachetant de petites structures spécialisées : On aboutit à des constellations d’expertises qui à terme, semblent vouloir constituer une galaxie 360°. Normal me direz-vous, les grosses agences cherchent à collaborer avec les gros annonceurs. Comme si en dehors des grandes marques et des grands annonceurs point de salut !

 

Curieusement, les annonceurs qu’ils cherchent à conquérir semblent vouloir leur filer entre les doigts. En effet, on constate qu’au fur et à mesure que les annonceurs gagnent en maturité, ils cherchent à s’affranchir de la tutelle des agences en constituant, en interne, des services communication complets dont l’effectif dépasse bien souvent celui d’une agence de taille moyenne.

 

La raison est à chercher du côté des agences et je les invite à faire leur examen de conscience :

Bien sûr, le « tout en un » avec un interlocuteur principal (sorte de guichet unique) qui coordonne tous les différents leviers de la communication, les différentes ressources et garde un œil sur la stratégie reste séduisant et se justifie dans le cas de très grands groupes. Mais cela se fait au détriment de l’agilité qu’un annonceur est en droit d’attendre de son agence, tant en termes d’apport de réflexion qu’au niveau organisationnel. Une perte d’efficacité en ligne qui se retrouve au bout du compte dans des tarifs qui sont déconnectés de la valeur ajoutée réelle obtenue.

 

Perte également en apport de réflexion. Avec l’explosion de nouvelles technologies et de nouveaux usages, le conseil en stratégie de communication a muté en une sorte de course au test & learn des dernières nouveautés. Chat GPT en est le dernier avatar. Le mot stratégie s’est galvaudé et ce que l’on appelle stratégie n’est la plupart du temps qu’une stratégie de moyens. On se préoccupe des tuyaux avant de penser message, sens, effet final recherché etc… A vouloir délivrer on en oublie le fond. Que dire de cette agence en pointe (et je tairai son nom car elle est par ailleurs très créative) dont la fonction de planner stratégique est tenue par un alternant !

 

Les annonceurs eux aussi ont testé et ont appris. Ils ont appris que lorsqu’ils confiaient leur budget à une agence 360°, la réalité était plus proche du 180°.  Les plus matures ont compris qu’une autre organisation est possible en allant piocher des consultants expérimentés en agences et en profitant des freelances que l’engouement pour l’auto-entreprenariat et le télétravail a essaimé à profusion.

 

Aujourd’hui on retrouve des services communication dirigés par des dircoms, anciens d’agences, entourés d’une équipe suffisante pour couvrir 70 à 80% des besoins de communication de manière autonome. Un réseau de quelques freelances complète le dispositif pour fluidifier la bande passante. Enfin, l’annonceur a recours à des petites agences hyperspécialisées de façon plus ou moins ponctuelle pour les accompagner sur les aspects les plus pointus ou les plus innovants de leur stratégie. La valeur de ces petites structures repose en général sur l’expertise d’un fondateur dont on veut s’attacher les services et qui reste disponible eu égard au prestige de l’annonceur et à la taille de son agence. C’est seulement occasionnellement, que ces annonceurs ont recours à des agences plus globales : lors d’un changement de direction et/ou de stratégie d’entreprise, pour une prise de recul, un besoin de réoxygéner la communication, une refonte de plateforme de marque, d’un nouveau territoire de communication à déployer…

 

Dans le même temps, les agences, quelle que soit leur taille, semblent n’avoir d’autre préoccupation que de grandir. Nées souvent d’une spécialité, c’est la course à l’armement dès qu’elles gagnent quelques clients référents. Elargir son offre à tout prix pour garder et conquérir de nouveaux clients. On les comprend car avec le jeu des compétitions qui leur coûtent cher en temps et en ressources, elles ont tellement de mal à gagner un client que lorsque celui-ci est enfin conquis elles veulent « tout prendre » et prétendent savoir « tout faire » (là est probablement la genèse de cette dérive vers le 360°).

 

Malheureusement, cette promesse n’est pas crédible quand on constate la multiplicité des disciplines et donc des expertises que requiert un plan de com aujourd’hui. Le temps est révolu où l’on avait 1 concept, 5 types de média pour l’exprimer, et 1 consommateur moyen à qui s’adresser. La communication s’est considérablement complexifiée et il est temps d’admettre que la stratégie (la vraie) doit redevenir de la responsabilité de l’annonceur et non de l’agence.

 

La promesse du 360° est encore moins tenable pour une agence dont l’effectif n’est pas au moins de 80 à 100 personnes. Or, la plupart des agences issues d’une spécialité qu’elles maitrisent avec succès, plafonnent à 35 ou 40 personnes. La marche est énorme et difficilement franchissable pour une agence avec un dirigeant solo ou même un trio d’associés fondateurs. Les groupes de communication l’ont bien compris et restent à l’affût. En les rachetant ils leur permettent de franchir le cap mais surtout ils complètent leur palette d’expertise et demeurent crédibles sur leur positionnement 360° face au renouvellement permanent de nouvelles expertises. C’est ainsi que le 360° reste le domaine réservé des groupes.  Mais pour combien de temps encore si le nombre des annonceurs ayant recours à un seul prestataire 360° tend à se tarir ?

 

Certaines agences, refusent de perdre leur âme en se fondant dans un groupe. Elles refusent cette fuite en avant vers la croissance et se délectent de pratiquer leur spécialité avec une exigence de qualité. Ce sont les agences pépites, des orfèvres de leur spécialité. Leur croissance est lente mais très solide car le bouche à oreille fonctionne bien et contrairement aux agences qui privilégient la taille, leur rentabilité se conforte au fur et à mesure qu’elles gagnent en maturité. Un seul danger les guette : sortir de leur domaine de génie quand l’ennui les gagne. Cela d’autant plus lorsque la quarantaine approche (ce qui est l’âge moyen des dirigeants de ce type d’agence).

 

Je vous livre en guise de conclusion cette morale bio-inspirée : grandir ou fleurir ? la nature, elle, a depuis longtemps tranché ce dilemme.

 

François Pinochet (Secrétaire général – Les Stratèges)