
une campagne de lobbying bien ficelée !
Article rédigé par Jean François Granat membre historique et impliqué des Stratèges..et également en recherche d’une mission qu’un annonceur pourrait lui confier.
Comme moi, vous avez certainement vu ou entendu les spots de la récente campagne de communication de Meta demandant à l’Union Européenne de mettre en place « une réglementation exigeant la vérification de l’âge et un accord parental ». Meta serait-il devenu un parangon de vertu digitale ? Pas vraiment, cette campagne, fruit d’une stratégie de lobbying longuement réfléchie et parfaitement exécutée, répond à des objectifs loin d’être aussi vertueux qu’ils en ont l’air !
Une loi pour protéger les mineurs
Rappelons le, depuis la loi du 7 juillet 2023, les réseaux sociaux doivent empêcher l’inscription des mineurs de moins de 15 ans, sauf accord parental explicite. Cette loi instaure la « majorité numérique » à 15 ans, âge à partir duquel un mineur peut s’inscrire seul sur un réseau social.
L’objectif est clair : protéger les enfants des méfaits divers et variés des réseaux, notamment sur la santé mentale. Je vous invite d’ailleurs, à ce sujet, à lire de livre de Michel Desmurget : « La fabrique du crétin digital » qui démontre, chiffres à l’appui, comment cette surexposition digitale nuit à la santé physique, mentale et aux capacités intellectuelles de nos chères têtes blondes.
En pratique, Meta comme les autres acteurs du secteur est très peu actif dans la mise en œuvre de la loi et la vérification de l’âge de ses abonnés. En effet, Il suffit simplement de renseigner une fausse date de naissance pour contourner l’obligation. Pas étonnant qu’en France, 63% des moins de 13 ans aient au moins un compte sur un réseau social, selon une enquête de la Cnil.
Des États qui légifèrent, Meta qui réagit
Après des années de laisser-faire, Meta a bien conscience que les régulateurs, dont la France et l’Union Européenne, souhaitent lutter plus activement contre les effets dangereux des réseaux sociaux. Bien entendu, elle a beaucoup à perdre de telles lois qui viendraient réduire son audience et son influence.
Il en est de même aux États-Unis où une quarantaine d’États a porté plainte, en octobre dernier, reprochant à Instagram et Facebook d’amplifier les risques d’addiction, de cyberharcèlement ou de troubles de l’alimentation.
Habituellement, vent debout contre tout projet d’encadrement à Bruxelles (et ailleurs) et se rendant compte qu’elle ne pourrait pas inverser la tendance, Meta a pris les devants en construisant une stratégie de lobbying non seulement auprès des élus mais aussi auprès du grand public.
Des comptes ados… pour commencer
Dès septembre 2024, espérant ainsi calmer ses détracteurs, Meta a annoncé le lancement de comptes spécifiquement dédiés aux ados de 13 à 17 ans. Sur ces comptes, certaines fonctionnalités sont activées et le contrôle parental est renforcé.
Belle réaction de la marque même si celle-ci ne prend pas en compte l’âge de la majorité numérique de 15 ans et qu’il est toujours possible de créer un compte en mentant sur sa date de naissance.
Avec la création de ces comptes ados, Meta s’est acheté quelques mois de répits, une image d’acteur impliqué et, surtout, des arguments nouveaux pour répondre à ces contradicteurs, notamment devant les tribunaux américains.
Transférer la responsabilité aux plateformes
Pour autant, le combat n’est pas encore gagné pour Meta qui tente à tout prix d’éviter les législations qui lui imposerait de devoir mettre en place un vrai contrôle de l’âge sur ses plateformes. Pour cela, Meta a une stratégie : communiquer pour faire porter la responsabilité, non pas sur les réseaux sociaux, mais sur les plateformes de distributions telles que l’App Store ou le Google Store.
Cette approche permettrait à Meta de ne pas porter la responsabilité juridique du contrôle ni de supporter les coûts de développement de systèmes de vérification, complexes et coûteux à développer et à mettre en place.
La marque américaine s’est donc lancée dans une large campagne de communication sur les réseaux sociaux, à la télévision, au cinéma et la radio. En interpellant l’Union Européenne, Meta se positionne comme le porte-parole de parents soucieux de la santé de leurs enfants. En s’érigeant en défenseur des droits, Meta utilise l’émotion créée par son message pour masquer la réalité de ses intentions.
Réseaux sociaux contre plateformes
Et cela fonctionne plutôt bien. En mai 2025, l’Utah a adopté une loi obligeant les plateformes à vérifier l’âge des utilisateurs et à exiger le consentement parental pour le téléchargement des applications. D’autres États américains ont déjà déposé des textes allant dans ce sens, reconnaissant le rôle des boutiques d’applications.
En face, Apple et Google assurent que la responsabilité du contrôle doit reposer sur chaque développeur d’applications. Ils mettent notamment en avant des risques sur la protection de la vie privée. Apple va même plus loin en présentant une API permettant aux concepteurs de savoir si un utilisateur est mineur ou majeur, sans communication directe de l’âge ou la date de naissance. Le système repose sur une validation automatique : si l’utilisateur n’a pas l’âge obligatoire, l’application lui refusera l’accès. Aux éditeurs d’intégrer cette fonctionnalité dans leurs applications.
Et en Europe ?
En Europe, la situation est différente. Ainsi, Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, souhaite contraindre « les réseaux sociaux à ne pas accepter la création de comptes sans vérification d’âge ». Elle espère pouvoir rallier une coalition, avec l’Espagne, la Grèce et l’Irlande, pour convaincre la Commission européenne d’avancer vers une règlementation commune.
De son côté, l’Union Européenne pourrait lancer, en Juillet 2025, une application qui permettra de vérifier l’âge des utilisateurs. Elle pourra d’identifier l’âge du propriétaire lorsqu’il navigue en ligne, sans collecter ou fournir ses données personnelles.
L’UE avance aussi sur la mise en place d’un portefeuille numérique, prévu pour la fin d’année 2026, intégrant cette fonction de vérification d’âge.
La bataille entre Réseaux Sociaux et Plateformes n’est donc pas encore terminée. Meta n’est pas devenu subitement altruiste et un parangon de vertu. Sous couvert de bons sentiments apparents, sa campagne de communication ne vise en réalité qu’à préserver ses intérêts économiques.
Espérons toutefois que tout cela profite à nos enfants, à nous tous pour la préservation de notre santé physique, mentale et intellectuelle… loin des réseaux sociaux.
Jean François Granat